La
bataille des 35 heures
La loi sur
les 35 heures est définitivement adoptée. Les conditions de son
application vont maintenant faire l’objet de très nombreuses
négociations dans les entreprises. Les salariés auront tout intérêt à
se mêler de ce qui les regarde au premier chef. C’est précisément
là, que se situe la clé du succès des 35 heures. Par
Laurent Mossino
L’
an 2000 commence avec les 35 heures. L’adoption définitive de cette loi
emblématique de la gauche plurielle constitue l’aboutissement d’un
long processus engagé depuis plus de deux ans. « Aujourd’hui est le
point de départ d’un mouvement, je dirais presque d’une espérance.
À nous tous, à tous les Français, de lui donner corps », déclarait le
Premier ministre, Lionel Jospin, en clôturant les travaux de la
Conférence nationale sur l’emploi, le 10 octobre 1997, à Matignon. On
connaît la suite. La loi d’orientation et d’incitation à la
réduction du temps de travail du 13 juin 1998 a provoqué une première
vague de négociations, tandis que la seconde loi votée le 15 décembre
1999 à l’Assemblée nationale a fixé les modalités définitives d’application
des 35 heures. À ce jour, le ministère de l’Emploi recense plus de 18
000 accords d’entreprise et des discussions sont engagées dans la
fonction publique. La machine est lancée et ne va plus s’arrêter. On
peut même penser qu’elle va prendre de la vitesse avec l’augmentation
progressive du coût des heures supplémentaires pour les employeurs (1),
qui seront en outre alléchés par l’appât des aides financières
versées, à titre permanent, par l’État (2). Toutefois, il
appartiendra aux salariés de réclamer l’ouverture des négociations
dans les entreprises tentées de temporiser pendant la fameuse période de
transition suivant la date d’application de la nouvelle durée légale
du travail (3).
L’enjeu des négociations
Cette réforme marquera-t-elle les annales de notre histoire sociale,
à l’image des lois de 1936 sur les 40 heures ou les congés payés ?
Permettra-t-elle à notre société de franchir le pas d’un nouveau
progrès de civilisation, comme l’évoquent certains ? L’avenir le
dira. Une seule chose est sûre : cet avenir se prépare dès maintenant.
En effet, la loi renvoie explicitement les conditions d’application des
35 heures à l’appréciation de la négociation collective. Un récent
sondage réalisé par Ipsos Management pour le compte de l’Observatoire
du monde du travail (créé en partenariat par Le Monde et Ipsos) révèle
que la question du temps de travail figure désormais en tête des
préoccupations des salariés, toutes catégories confondues. Devant l’emploi
et les salaires ! Or, les négociations sur les 35 heures - et ce n’est
pas le moindre mérite de cette loi - permettent d’aborder, tout à la
fois, les questions de la réduction du temps de travail, de l’emploi,
des rémunérations, de l’organisation du travail, etc. Les salariés
ont donc tout intérêt à s’impliquer dans ces discussions pour devenir
les acteurs de leur propre vie au travail.
Jouer gagnant
L’expérience montre que les employeurs tentent de reprendre d’une
main ce qu’ils sont obligés de concéder de l’autre avec la
réduction du temps de travail. Mais les salariés n’ont aucune raison
de se laisser voler le bénéfice de cette conquête sociale en acceptant
une détérioration de leurs conditions de travail ou un gel de leur
rémunération. Pourquoi ne profiteraient-ils pas des énormes gains de
productivité engrangés par les entreprises ? Pourquoi le niveau des
salaires stagnerait-il, alors que le CAC 40 poursuit une ascension
continue ? Sans oublier que l’entreprise bénéficie d’aides
financières conséquentes à l’occasion du passage aux 35 heures.
Certes, on peut regretter que la loi n’ait pas planté quelques
garde-fous supplémentaires qui auraient permis de mieux contenir les
prétentions patronales. Mais elle ne constitue qu’un socle de garanties
sociales minimum, qu’un accord collectif peut toujours améliorer. Les
salariés doivent s’appuyer sur les dispositions les plus favorables du
texte pour mettre les meilleures chances de leur côté. Ainsi, par
exemple, le régime du forfait en jours pour les cadres fixe un « plafond
» de 217 jours travaillés dans l’année, mais, revers de la médaille,
supprime toute référence horaire pour le calcul du temps de travail. Ce
qui offre la perspective d’une réduction du nombre de jours travaillés
dans l’année, tout en laissant la porte ouverte à une augmentation de
l’amplitude de la journée de travail. Cependant, la loi précise que «
l’accord peut déterminer des limites journalières et hebdomadaires
(des horaires de travail), à condition de prévoir des modalités de
contrôle de l’application de ces nouveaux maxima conventionnels et de
déterminer les conditions de suivi de l’organisation du travail et de
la charge de travail des salariés concernés ». D’autre part, l’intéressé
à la faculté de saisir le tribunal « lorsqu’il ne bénéficie pas d’une
réduction effective de sa durée de travail ou perçoit une
rémunération manifestement sans rapport avec les sujétions qui lui sont
imposées ».
Un point pour la démocratie
Il faut surtout se féliciter de la reconnaissance du principe
majoritaire dans les règles de la négociation collective, qui devrait
contraindre les employeurs à tenir compte de l’opinion des salariés.
En effet, la loi subordonne le bénéfice des aides financières à la
signature d’un accord collectif par une ou des organisations syndicales
représentant la majorité des salariés. À défaut, l’accord doit
être approuvé par les salariés à la majorité des suffrages exprimés.
Précisons que le respect de ce principe majoritaire est une condition de
déclenchement des aides financières, non de validité des accords.
L’actualité témoigne que les négociations sur les 35 heures font
toujours l’objet d’âpres discussions dans les entreprises. Elles sont
parfois à l’origine de conflits sociaux importants et cette tendance
risque de s’accentuer dans la période à venir. Cela ne signifie pas
que les salariés sont en guerre contre les 35 heures, comme on a pu
laisser l’entendre ici ou là. C’est tout l’inverse puisqu’ils se
battent précisément contre les conditions de leur application, qu’ils
jugent inacceptables. Pour que la réduction du temps de travail ne soit
pas détournée de son objectif en faveur de l’emploi et du progrès
social. « La signature d’un accord peut être aussi le résultat d’un
conflit », a rappelé la ministre de l’Emploi, Martine Aubry, lors des
débats parlementaires. En vérité, cette mobilisation des salariés est
plutôt de bon augure. Car le fruit d’une négociation est toujours le
reflet d’un rapport de force, à un moment donné.
(1) La modification de la durée légale du travail a pour conséquence
principale d’abaisser le seuil de déclenchement du paiement des heures
supplémentaires. Les heures effectuées entre 35 et 39 heures donnent
lieu à un surcoût de 10 % la première année (période transitoire) et
de 25 % ensuite.
(2) Le versement des aides financières est subordonné à la conclusion d’un
accord collectif sur les 35 heures.
(3) La durée légale du travail est fixée à 35 heures par semaine au
1er janvier 2000 pour les entreprises de plus de 20 salariés et au 1er
janvier 2002 pour les autres. La loi prévoit une période de transition
pour l’application du
régime des heures supplémentaires, d’une durée d’un
an
concernant la tarification et de deux ans pour le contingent. |