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Modification
du contrat de travail et
changement d'employeur
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Union fédérale des ingénieurs, cadres et techniciens
de la CGT
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1 - Modification du contrat de travail
Parce que le contrat de travail a pour objet de définir les modalités de la
relation de travail, une fois déterminés, ses éléments essentiels ne peuvent
être modifiés par l'employeur sans l'accord du salarié.
Jusqu'à une époque récente, le régime de la modification du contrat de
travail reposait sur la distinction entre modification substantielle, qui
nécessitait l'accord du salarié, et modification non substantielle, qui
pouvait unilatéralement être imposée par l'employeur. Aujourd'hui cette
distinction n'a plus lieu d'être, puisque la Cour de cassation distingue,
depuis des arrêts du 16 juillet 1996 :
- la modification des conditions de travail décidée par l'employeur dans
le cadre de son pouvoir de direction et qui ne peut être refusée par le
salarié
- la modification d'un élément du contrat de travail, qui ne peut être
imposée par l'employeur, l'accord du salarié étant nécessaire.
Ce sont les juges qui disent si la modification porte sur un élément du
contrat ou sur les conditions de travail, en se basant sur plusieurs critères :
stipulations du contrat de travail, dispositions de la convention collective,
nature de l'élément modifié, intention des parties, caractère déterminant
dans l'esprit du salarié, de l'élément modifié, etc.
Lorsque le salarié est engagé, il connaît les obligations qui sont à sa
charge et accepte ces sujétions en connaissance de cause. L'employeur ne doit
donc pas bouleverser l'équilibre du contrat de travail en imposant des
sujétions supplémentaires.
- Le fait d'insérer une clause de non-concurrence dans un contrat de
travail en cours d'exécution, constitue une modification du contrat que le
salarié a la faculté de refuser.
- Rappelons que lorsque le salarié est un salarié
protégé, aucune modification de son contrat de travail, ni de ses
conditions de travail ne peut lui être imposée.
Eléments essentiels du contrat de travail
Certains éléments, de par leur nature même, constituent des éléments du
contrat de travail qui ne peuvent être modifiés sans l'accord du salarié :
- la rémunération ;
- le mode de rémunération ;
- les attributions du salarié ;
- la durée du travail.
Ces éléments sont l'essence même du contrat de travail.
L'article 30 de la loi du 19 janvier 2000 a défini deux principes :
- En premier lieu, « la seule diminution du nombre d'heures
stipulé au contrat de travail, en application d'un accord collectif de
réduction de la durée du travail, ne constitue pas une modification du
contrat de travail » (article L 212-3 nouveau du Code du travail) ;
Cette règle ne trouve à s'appliquer que si deux conditions sont réunies.
D'abord, la réduction du nombre d'heures stipulé au contrat doit
intervenir en application d'un accord collectif et non à la suite d'une
décision unilatérale de l'employeur. Le fait que l'accord ouvre ou non
droit au bénéfice de l'allégement de cotisation est sans incidence.
Ensuite, aucune modification du contrat de travail ne doit résulter de
l'application de l'accord collectif.
Si la réduction du nombre d'heures stipulé au contrat s'accompagne d'une
baisse de la rémunération du salarié ou d'un changement de son mode de
rémunération, le salarié est en droit de considérer que son contrat de
travail est modifié et, par suite, de refuser cette modification sans que ce
refus puisse être qualifié de fautif. Il en est de même lorsque l'horaire de
travail se trouve profondément modifié (passage à un travail en équipes par
exemple). En revanche, si l'application de l'accord collectif se traduit par le
seul changement du nombre d'heures prévu au contrat, le salarié n'est pas
fondé à considérer que son contrat de travail est modifié.
Conséquences de ce principe :
- la seule diminution du nombre d'heures stipulé au contrat de
travail doit être regardée comme constitutive d'une modification des
conditions de travail du salarié (et non du contrat) ; l'employeur n'a donc
pas à recueillir l'accord de chacun de ses salariés ni, a fortiori, à
appliquer la procédure prévue par l'article L. 321-1-2 du Code du travail
;
- en conséquence, le salarié ne pourra pas la refuser sans
commettre une faute de nature à justifier son licenciement.
- En second lieu, « lorsqu'un ou plusieurs salariés refusent
une modification de leur contrat de travail en application d'un accord de
réduction de la durée du travail, leur licenciement est un licenciement
individuel ne reposant pas sur un motif économique et est soumis aux
dispositions des articles L. 122-14 à L. 122-17 du Code du travail »
(article 3-11 de la loi du 19 janvier 2000).
Les licenciements intervenant à la suite du refus opposé
par un ou plusieurs salariés ne reposent donc ni sur un motif personnel, ni sur
un motif économique ; ils constituent des licenciements « sui generis ». Ils
sont soumis à la seule procédure applicable au licenciement individuel pour
motif non économique définie par les articles L. 122-14 à L. 122-17 du Code
du travail (entretien préalable, notification du licenciement par lettre
recommandée avec A.R., certificat de travail, reçu pour solde de tout compte).
En ce qui concerne le changement de lieu de travail, la Cour de cassation
a considéré qu'il devait être apprécié de manière objective, c'est-à-dire
de façon identique pour tous les salariés de l'entreprise concernés par le
transfert des locaux de travail.
Il y a modification du contrat dès lors que le nouveau lieu de travail est
situé dans un secteur géographique différent du précédent (Cass. Soc. 4
mai 1999, n° 97-40.576).
Conséquence : les juges ne se préoccupent pas de considérations
individuelles. Cela signifie que lorsque l'entreprise procède à un transfert
collectif, elle n'a pas à opérer un diagnostic au cas par cas et à
considérer la situation de chaque salarié individuellement. Peu importent donc
les incidences personnelles pour tel ou tel salarié (existence de contraintes
familiales, durée de trajet, mode de transport utilisé...).
Il reste qu'aujourd'hui, c'est la notion de « secteur géographique » qui
devra être définie. A l'entreprise dans un premier temps, puis aux juges en
cas de contentieux, de déterminer si la modification de lieu de travail
proposée se situe ou non dans le même secteur géographique. La région semble
être une illustration tout comme une zone urbaine ou un bassin d'emploi. Il
reste que certains emplois impliquent par nature une certaine disponibilité
géographique. Dans ce cas, le salarié n'a pas la possibilité d'invoquer une
modification de son contrat de travail. C'est ce que la Cour de cassation a
rappelé dans une décision du 4 janvier 2000 à propos d'un chauffeur de car.
Il a, par exemple, été jugé :
- que la rémunération contractuelle du salarié constitue un
élément du contrat de travail qui ne peut être modifié, même de
manière minime, sans son accord, et qu'il en va de même du mode de
rémunération prévu par le contrat, peu importe que l'employeur prétende
que le nouveau mode serait plus avantageux ;
- que lorsque la rémunération est composée d'un fixe et d'une partie
variable, même en présence d'une clause de révision de la partie variable
de la rémunération, l'employeur ne peut pas modifier, à sa convenance,
cette partie de la rémunération sans l'accord du salarié :
- que la durée du travail, telle que mentionnée au contrat de travail,
constitue en principe un élément du contrat de travail qui ne peut être
modifié sans l'accord du salarié.
Conséquence : le salarié engagé selon son contrat pour effectuer 39
heures de travail par semaine est en droit de re fuser la proposition de son
employeur, même accompagnée d'une augmentation de salaire, d'effectuer 41
heures par semaine.
La Cour de cassation a également décidé que la mise en place d'une
astreinte, non prévue initialement au contrat, constitue une modification
de ce dernier ne pouvant en aucun cas être imposée au salarié (Cass. soc.
31 mai 2000, n° 2606) ;
- que l'employeur ne peut transformer les attributions du salarié et
insérer une clause de non-concurrence dans le contrat de travail, le
salarié ne pouvant se voir reproché d'avoir refusé sa promotion ;
- que lorsque la durée du préavis de licenciement est fixée par le
contrat de travail, sa réduction par l'employeur par voie d'avenant
constitue une modification du contrat de travail que le salarié a la
faculté de refuser;
- qu'un employeur qui demande à ses salariés travaillant jusqu'à présent
en cycles de deux semaines (3 puis 4 jours) de venir travailler chaque
semaine cinq jours avec un service les samedis et dimanche, modifie leur
contrat de travail. En conséquence, le salarié peut parfaitement refuser
une telle modification. Ce refus ne constitue nullement une cause réelle et
sérieuse de licenciement ;
- que ne constitue pas une modification du contrat de travail, le fait pour
un employeur de décider de faire passer un salarié de l'horaire de nuit à
l'horaire de jour, dès lors que, d'une part, l'intéressé ne tenait pas de
son contrat, le droit de travailler en permanence de nuit, et que, d'autre
part, l'entreprise était ouverte 24 heures sur 24 et dont les salariés
travaillaient par roulement, sans horaire fixe ;
- que le passage d'un horaire de travail à temps partiel à un horaire de
travail à temps complet constitue une modification de son contrat de
travail.
En l'absence d'un motif économique justifiant une telle modification, le
licenciement faisant suite au refus du salarié d'accepter la modification
de son contrat de travail est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
- que le passage d'un horaire fixe à un horaire soumis à des variations
périodiques constitue une modification du contrat de travail que le
salarié est en droit de refuser (Cass. Soc. 14 novembre 2000, n°
98-43.218).
Les parties peuvent décider, expressément ou implicitement, lors de la
conclusion du contrat de travail, des éléments qui devront être
considérés comme essentiels.
- Ce sont les juges qui déterminent la
commune intention des parties à partir des termes mêmes du contrat de
travail.
- II a été jugé que le secteur géographique constituait,
pour un VRP, un élément essentiel de son contrat de travail. De même pour
la mise à disposition à des fins personnelles et professionnelles d'un
véhicule de fonctions.
Modification prévue par le contrat lui-même
Si le contrat de travail prévoit, par avance, qu'il pourra être modifié
par l'employeur, le salarié ne pourra pas prétendre à une modification du
contrat de travail. Dans ce cas, la modification décidée par l'employeur ne
constituera qu'une application normale du contrat. Le refus de se soumettre à
la décision de l'employeur constituera en principe une faute grave.
Il arrive même que les juges interprètent le contrat de travail d'un salarié
et avancent la nature des fonctions de celui-ci pour autoriser l'employeur, dans
le cadre de son pouvoir de direction, à aller au-delà de ce que prévoyait une
clause de contrat.
Un salarié embauché en qualité de consultant cadre, peut être amené à
effectuer des missions ponctuelles en Allemagne, même si son contrat de travail
ne le prévoit pas expressément et se borne à contenir une clause de mobilité
prévoyant des séjours en province de longue durée. Ce salarié ayant été
engagé pour ses compétences en langue anglaise et allemande, les juges ont
considéré que la nature de ses fonctions induisait des déplacements à
l'étranger. La possibilité d'imposer une telle mission au salarié faisait
partie du pouvoir de direction de l'employeur et ne constituait ni une
modification de son contrat de travail, ni même une modification des conditions
de travail, dans la mesure o(i plie entrait dans le cadre des fonctions du
salarié (Cass. soc. 21 mars 2000, n° 1397).
Le salarié ne peut s'opposer :
- à une mutation en présence d'une clause de mobilité, dont l'objet même
est de permettre à l'employeur de modifier le lieu de travail du salarié ;
- à une modification de ses horaires de travail en présence d'une clause
permettant à l'employeur de faire varier les horaires de travail, en
fonction de l'ouverture des points de vente, sous réserve d'en aviser le
salarié par avance.
- L'employeur doit scrupuleusement respecter les
conditions fixées par le contrat, et dans lesquelles il peut le modifier
sans requérir l'accord du salarié. A défaut, le salarié pourra s'opposer
à la modification.
- Un employeur ne peut reprochera un salarié d'avoir refusé
une modification de ses horaires, alors qu'il n'a pas respecté le délai de
prévenance tel qu'il était prévu au contrat de travail.
2 - Modification des conditions de travail
Dans le cadre de son pouvoir de direction, l'employeur peut changer les
conditions de travail d'un salarié. Concrètement, cela signifie qu'il peut
demander à un salarié d'effectuer une tâche différente de celle qu'il
occupait antérieurement pour autant qu'elle corresponde à sa qualification.
Dès lors que le changement de poste d'un salarié ne modifie pas son degré de
subordination à la direction générale, que sa rémunération, sa
qualification et son niveau hiérarchique sont conservés, il y a simple
modification des conditions de travail et non modification du contrat de
travail.
Le refus par un salarié de continuer le travail ou de le reprendre, après un
changement de ses conditions de travail, constitue une faute qu'il appartient à
l'employeur de sanctionner par un licenciement disciplinaire. Dans la plupart
des cas, c'est un licenciement pour faute grave qui sera prononcé, mais ce
n'est pas toujours le cas comme l'attestent deux décisions du 17 octobre 2000.
En fait, pour se prononcer sur la modification apportée dans la relation de
travail, les juges se réfèrent à des données objectives. En revanche, pour
se prononcer sur la qualification du refus d'une modification des conditions de
travail, les juges font une appréciation subjective de la situation pour
qualifier le refus de faute grave ou de simple cause réelle et sérieuse. Ils
regardent si l'ampleur du changement des conditions de travail décidé par
l'employeur est substantielle ou non, compte tenu de la situation
professionnelle et personnelle du salarié.
- Un employeur peut légitimement demander à une salariée ouvrière
agricole occupée principalement à la cueillette des citrons d'effectuer
l'engrainage des bananes - Même si la tâche donnée à cette salariée est
différente de celle effectuée antérieurement, elle correspond à sa
qualification et ne caractérise pas une modification de son contrat de
travail.
- Le changement d'horaire consistant dans une nouvelle répartition de
l'horaire au sein de la journée, alors que la durée du travail et la
rémunération restent identiques, constitue un simple changement des
conditions de travail relevant du pouvoir de direction de l'employeur, et
non une modification du contrat de travail (Cass. soc. 22 février 2000, n°
910).
3 - Procédure à suivre
- Proposition d'une modification et décision du salarié
Sauf lorsque la modification du contrat repose sur un motif
économique, le Code du travail n'a pas prévu de procédure spécifique
devant être suivie par l'employeur. Dans les deux cas, l'employeur doit
faire une proposition de modification.
- SI l'employeur notifie d'office une modification
du contrat de travail, le salarié peut se considérer comme licencié et il
n'est pas obligé d'accepter la proposition de l'employeur de revenir sur
cette rupture acquise, et de reprendre son emploi. Il pourra poursuivre
l'employeur pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc. 5
mars 1997, n° 95-42.365).
- Un accord collectif de travail ne
peut, en aucun cas, modifier le contrat de travail
Modification reposant sur un motif autre qu'économique
La modification du contrat ne pouvant être imposée, l'employeur doit faire une
proposition de modification au salarié, de préférence écrite, en laissant au
salarié un délai de réflexion avant de donner sa réponse. Mais en aucun cas
le salarié ne peut prendre acte d'une rupture de contrat de travail imputable
à l'employeur, en se fondant sur la seule proposition d'une modification de son
contrat.
- S'il n'existe pas de minimum, le délai de
réflexion doit être suffisant et raisonnable, l'employeur ne devant pas
agir avec précipitation.
Il a été jugé que :
- l'employeur qui a laissé au salarié 24 heures pour accepter
ou refuser son changement d'affectation a agit avec précipitation, alors
que l'intéressé avait demandé à bénéficier d'un délai de 10 jours ;
- l'employeur qui présente de manière précipitée la
proposition de modification ne peut se prévaloir du consentement du
salarié, d'autant que l'intéressé s'est rétracté le lendemain.
- Le silence du salarié ne vaut pas
acceptation de la proposition de modification. L'acceptation, dont la preuve
incombe à l'employeur, doit être sans équivoque.
Même le fait de poursuivre le contrat de travail aux conditions nouvelles ne
vaut pas acceptation de la modification. Conséquence : plusieurs années
après, le salarié pourra prétendre que son contrat de travail a été
modifié sans son accord, ce qui s'analyse en un licenciement sans cause réelle
et sérieuse.
Modification reposant sur un motif économique
L'employeur peut être amené à proposer une modification du contrat de travail
pour un motif économique, dont la définition est la même que celle utilisée
pour le licenciement économique (voir à ce sujet Chapitre 10 B Licenciement
pour motif économique).
L'employeur informe individuellement chaque salarié par lettre recommandée
avec accusé de réception. La lettre doit préciser au salarié qu'il dispose
d'un mois, à compter de sa réception, pour faire connaître son refus.
- Lorsque l'employeur propose un reclassement pour
éviter un licenciement résultant de la suppression de son emploi, la
procédure de modification du contrat de travail pour motif économique ne
s'applique pas (Cass. soc. 9juill. 1998, n° 96-42.805).
- Lorsque la proposition de
modification concerne plus de 10 salariés dans une entreprise d'au moins 50
salariés, l'employeur peut être dans l'obligation d'élaborer un plan
social (voir à ce sujet Chapitre 10 B Licenciement pour motif économique).
Conséquence de la décision du salarié
Le salarié a le choix : soit il accepte, soit il refuse.
Refus du salarié
Le salarié n'est pas obligé d'accepter une modification de son contrat de
travail. En la refusant, il ne se rend pas pour autant responsable de la rupture
du contrat.
Face à ce refus, l'employeur a le choix entre renoncer à son projet de
modification ou licencier le salarié :
- si l'employeur renonce à son projet, le contrat de travail se poursuivra
aux conditions antérieures. Le salarié pourra éventuellement réclamer un
rappel de salaire lorsqu'il a, par exemple, refusé la réduction de sa
rémunération mais a continué d'exécuter son contrat de travail aux
conditions nouvelles. Lorsque l'employeur a renoncé à sa proposition de
modification, le salarié ne saurait, à défaut de modification imposée,
se considérer comme licencié (Cass. soc. 21 mars 2000, n° 1511);
- si l'employeur persiste, il ne peut se contenter de prendre acte de la
rupture du contrat de travail, du fait du refus du salarié de la
modification. Il doit entamer une procédure de licenciement en justifiant
d'une cause réelle et sérieuse, et en respectant les règles de procédure
propres au type de licenciement envisagé : personne) ou économique.
- Le refus du salarié n'est pas, en
sol, une cause réelle et sérieuse de licenciement. L'employeur doit
motiver la lettre de licenciement en expliquant les raisons qui l'ont
conduit à vouloir modifier le contrat de travail : motif personnel ou motif
économique.
Acceptation du salarié
Dans cette hypothèse, le contrat de travail se poursuit aux nouvelles
conditions. Afin d'éviter toute contestation ultérieure de la part du
salarié, l'employeur a intérêt à établir un avenant écrit.
Changement d'employeur
Pour éviter que le changement de structure juridique de la société
s'accompagne trop systématiquement d'une rupture du contrat de travail, la loi
organise un transfert automatique des contrats de travail en cours.
L'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail a fait l'objet d'un fort
abondant contentieux qui semble aujourd'hui stabilisé.
Textes applicables : C. trav. art. L. 122-12
1 - Conditions d'application de l'article
L. 122-12
- Modifications visées
D'après ce texte : « S'il survient une modification dans la
situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion,
transformation du fonds, mise en société, tous les contrats de travail en
cours, au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le
personnel de l'entreprise ».
- L'énumération de l'article L.
122-12, alinéa 2, n'est pas limitative. L'emploi de l'adverbe notamment, a
amené la jurisprudence à étendre le champ d'application de la loi à
d'autres situations.
Entraînent l'application de l'article L. 122-12, alinéa 2, les situations
suivantes :
- le changement dans la forme de la société exploitante ;
- la constitution d'une filiale ;
- la cession d'éléments d'actifs, telle que la cession du
matériel et de la clientèle.
N'entraînent pas l'application de l'article L. 122-12, alinéa 2, les
situations suivantes
- la simple prise de contrôle d'une société par une autre ;
- le changement de gérant sans changement d'employeur ;
- la seule création d'un groupement d'intérêt économique.
Aujourd'hui, et conformément à la jurisprudence européenne, les tribunaux
exigent pour l'application de l'article L. 122-12, alinéa 2, la réunion de
trois conditions : l'existence d'une entité économique autonome, le transfert
de cette entité et le maintien de l'identité de celle-ci après le transfert.
- Transfert d'une entité économique autonome ayant conservé son
identité
Désormais, la continuité de l'entreprise ou de l'entité
économique et la poursuite de l'activité déterminent le maintien des
contrats de travail, même en l'absence de tout lien de droit entre les
employeurs successifs.
- II est toujours possible de faire une
application de l'article L. 122-12, alinéa 2.
Définition de l'entité économique autonome
II y a entité autonome lorsque l'activité économique est exercée au sein
d'une structure identifiée, c'est-à-dire dotée de moyens spécifiques. Elle
doit, par conséquent, être distincte des autres activités exercées par le
cédant.
- II n'est pas nécessaire qu'il y ait autonomie
juridique : un service d'une entreprise, doté de moyens propres peut
constituer une entité autonome.
Pour être autonome, l'entité transférée doit disposer d'un
personnel qui lui est spécialement affecté, et de ses propres moyens
matériels d'exploitation.
- Constitue une entité autonome, celle dans laquelle est
exercée une activité distincte de menuiserie, nécessitant l'emploi de
personnel qualifié, au sein d'une société dont l'activité principale est
la production et la distribution de graines.
Outre les moyens matériels, l'existence d'une clientèle spécifique est
fréquemment retenue pour qualifier l'entité économique d'autonome.
- La cession de matériel, sans
cession de clientèle, ne constitue pas la cession d'une entité
économique. Il en est autrement, si la clientèle est rattachée aux
éléments d'exploitation repris par le nouvel exploitant.
Doit être qualifiée d'entité économique autonome :
- un rayon équipé de vente au détail de produits de boucherie
dans un supermarché ;
- la cession d'un dépôt de presse au sein d'une librairie
papeterie ;
- la cession faite à un concessionnaire de la distribution de
véhicules et produits de la marque, sur un secteur géographique
déterminé, distribution assurée jusque-là par le constructeur lui-même.
La Cour de cassation considère qu'un marché n'est pas, en soi, une
entité économique autonome. Conséquence : l'article L. 122-12, alinéa 2,
ne s'applique pas à ta seule perte d'un marché. Elle affirme de même, que
l'exécution d'un marché de prestations de services, par un nouveau
titulaire, ne réalise pas à elle seule le transfert d'une entité
économique autonome.
Aucune entité économique n'est transmise :
- lorsque deux sociétés de gardiennage se succèdent sur un
même marché, sans transfert des moyens d'exploitation ;
- lorsque deux sociétés de transport se succèdent sur un
même marché sans que la nouvelle ne reprenne, ni les bus, ni les locaux de
son prédécesseur ;
- lorsque l'activité de nettoyage est confiée à un autre
prestataire.
- Les conventions collectives applicables aux
activités de prestations de services prévoient, dans leurs annexes, des
dispositions tendant à assurer le maintien de l'emploi même en cas de la
perte d'un marché (convention collective du nettoyage, du gardiennage,
etc.). Il faut donc toujours penser à s'y reporter.
Le transfert de cette entité
II n'est désormais plus exigé de lien de droit entre les employeurs
successifs.
Il n'est donc pas nécessaire que le changement d'employeur s'opère par le
biais d'une convention ou d'un contrat. Dès lors que les trois conditions sont
réunies (entité économique autonome, transfert et conservation de
l'identité), l'article L. 122-12, alinéa 2, s'applique de plein droit.
Entité conservant son identité
II faut, pour que l'article L. 122-12, alinéa 2, trouve à s'appliquer, que
l'activité économique autonome transférée conserve son identité chez le
nouvel employeur,
- La jurisprudence a étendu l'application de
l'article L. 122-12, alinéa 2, aux contrats de location ou de
location-gérance. La cessation de ces contrats implique le retour de
l'entité économique au propriétaire du fonds, tenu de maintenir les
contrats de travail pour autant que l'exploitation soit susceptible d'être
poursuivie.
- La disparition d'une entreprise, consécutive à la mauvaise
gestion du locataire, ne saurait emporter, comme conséquence, le maintien
des contrats de travail au propriétaire.
En cas de reprise d'une activité confiée à une entreprise extérieure,
l'article L. 122-12, alinéa 2, s'applique.
- La reprise par une maison de retraite d'un service de
restauration entraîne l'application de l'article L. 122-12, alinéa 2.
- Poursuite de l'activité
II ne peut y avoir application de l'article L. 122-12, alinéa 2,
que s'il y a, certes, modification dans la situation juridique de
l'employeur, mais à condition que l'activité se poursuive avec les mêmes
possibilités d'emploi et qu'ils soient de même nature.
- Il n'est pas indispensable que l'activité
poursuivie soit la même à l'identique. Elle doit, au moins, être
analogue.
- Une activité est considérée comme poursuivie, lorsqu'un
commerce de confection remplace un commerce de tissu.
La nature de l'activité ne sera pas changée, si, à l'occasion du
transfert, le nouvel employeur apporte quelques modifications des conditions
de fonctionnement.
- Rien n'interdit au nouvel employeur, d'avoir recours à des
moyens techniques différents ou à de nouveaux matériels ou financements,
tant que la nature de l'activité n'est pas modifiée.
Le changement du mode d'exploitation peut empêcher l'application de
l'article L. 122-12, alinéa 2. Il en est, par exemple, ainsi, lorsqu'une
entreprise privée est ensuite gérée par un établissement public
administratif. On considérera alors du point de vue de l'article L. 122-12,
alinéa 2, qu'une telle modification entraîne la cessation et non la
transmission de l'entreprise.
Idem lorsqu'un service public administratif disparaît, la reprise de son
activité par un organisme de droit privé n'entraîne pas l'application de
l'article L. 122-12, alinéa 2.
En revanche, l'article L. 122-12, alinéa 2, n'est pas écarté, lorsque
l'activité se poursuit sous l'activité d'un service public industriel et
commercial.
- L'article L. 122-12, alinéa 2, ne s'applique pas dans les cas
suivants :
- reprise d'une crèche, gérée par la Croix rouge, par une
commune sous forme de service public administratif ;
- reprise par le syndicat intercommunal, sous forme de service
public administratif, de l'activité de ramassage scolaire exploitée
jusque-là par une société privée.
La Cour de cassation considère que l'interruption temporaire de l'activité
ne peut avoir pour effet, de faire obstacle à l'application de l'article L.
122-12, alinéa 2, dès lors qu'il apparaît que c'est la même entreprise
qui recommence à fonctionner.
- Salariés concernés
L'article L. 122-12, alinéa 2, ne s'applique qu'aux contrats de
travail en cours, au moment où survient la modification dans la situation
juridique de l'employeur.
Peu importe le type de contrat. Il peut s'agir d'un contrat à durée
indéterminée, d'un contrat à durée déterminée, d'un contrat
d'apprentissage, etc. Le salarié peut aussi être en période d'essai.
La simple suspension du contrat de travail ou le détachement du salarié
n'entrave en rien l'application de l'article L. 122-12, alinéa 2.
En revanche, les contrats rompus avant le transfert ne sauraient être
concernés par l'application de cet article. Le salarié ne pourra que se
prévaloir de son droit à exécuter son préavis avec le nouvel employeur.
- L'article L. 122-12, alinéa 2, s'applique aux
salariés protégés comme aux autres. Néanmoins, le transfert de tels
salariés doit être soumis à l'autorisation préalable de l'inspecteur du
travail qui vérifiera que le salarié ne fait l'objet d'aucune mesure
discriminatoire.
2 - Effets de l'article L. 122-12, alinéa
2.
- Vis-à-vis du nouvel employeur et des salariés
Si les conditions sont réunies, le transfert des contrats de
travail s'opère de plein droit, c'est-à-dire de manière automatique. La
loi ne fait aucunement obligation à l'employeur d'informer les salariés de
ce transfert. Bien souvent il est vrai, les salariés seront informés par
le biais de leurs représentants du personnel puisque te Code du travail
prévoit que le comité d'entreprise est consulté en cas de modification
dans l'organisation juridique de l'entreprise. Il se peut donc tout à fait
que tes salariés soient tenus à l'écart de toute information quand
l'entreprise est dépourvue d'institutions représentatives du personnel,
même si dans la pratique les employeurs adressent aux salariés un avenant
à leur contrat de travail pour leur faire part de ce transfert.
- Une directive européenne du 29 juin 1998 qui doit
être au plus tard transposée en droit français le 17 juillet 2001, oblige
les employeurs à procéder à une information préalable des salariés sur
la date fixée ou proposée du transfert, le motif du transfert, ses
conséquences juridiques, économiques et sociales pour les travailleurs
dans l'hypothèse où l'entreprise ou l'établissement est dépourvu
d'institutions représentatives du personnel.
Le contrat de travail se poursuit aux mêmes conditions. Le salarié
conserve son ancienneté, sa qualification, sa rémunération, mais
également les clauses telles que clause de non-concurrence ou clause de
mobilité.
Tous les droits qui sont fonction de ta présence ou de l'ancienneté du
salarié, sont calculés par rapport à la date d'embauché du salarié par
le premier employeur et non par rapport à la date du transfert. Il en est
notamment ainsi, pour le certificat de travail, pour l'indemnité de congés
payés ou l'indemnité de licenciement.
La continuation des contrats a aussi pour effet de permettre au salarié de
se prévaloir des avantages individuellement prévus par son contrat, s'ils
sont plus favorables que ceux prévus par la convention collective devenue
applicable. Les usages et engagements unilatéraux appliqués par l'ancien
employeur subsistent, sauf à avoir été régulièrement dénoncé par le
nouvel employeur.
Parce que le contrat de travail doit se poursuivre dans les mêmes
conditions, il n'y a aucune raison que le salarié refuse le changement
d'employeur. S'il refuse de reprendre son travail au service du nouvel
employeur, il commet une faute justifiant son licenciement.
- Les dispositions de l'article L.
122-12, alinéa 2, sont d'ordre public : impossible au salarié comme au
nouvel employeur de refuser son application.
- Le contrat n'étant pas rompu, le salarié ne peut
réclamer une indemnité de licenciement ou de préavis au nouvel employeur.
L'ancien employeur ne peut quant à lui invoquer la clause de
non-concurrence prévue dans le contrat de travail du salarié transféré,
pour faire échec à la reprise de ce contrat par le nouvel employeur.
Le salarié ne peut préférer démissionner ou être licencié pour être
réembauché par le nouvel employeur.
- Vis-à-vis de l'ancien et du nouvel employeur
- Les dettes
A moins que la modification visée au deuxième alinéa de l'article L.
122-12 n'intervienne dans le cadre d'une procédure de redressement ou de
liquidation judiciaire, ou d'une substitution d'employeurs intervenue sans
qu'il y ait eu de convention entre ceux-ci, le nouvel employeur est, en
outre, tenu à l'égard des salariés dont les contrats de travail
subsistent, des obligations qui incombaient à l'ancien employeur à la date
de cette modification.
Le premier employeur est tenu de rembourser les sommes acquittées par le
nouvel employeur, en application de l'alinéa précédent, sauf s'il a été
tenu compte de la charge résultant de ces obligations, dans ta convention
intervenue entre eux. (C. trav. art. L. 122-12-1).
En clair, ces dispositions signifient que les salaires et autres dettes
nées à la date du transfert, mais restés impayés, sont mis à la charge
du nouvel employeur, à charge pour celui-ci d'en avoir tenu compte dans les
négociations préalables au transfert.
Quant aux dettes nées après le transfert, elles doivent être supportées
par le nouvel employeur, peu importe qu'elles correspondent pour tout ou
partie au travail accompli pour le compte de l'ancien employeur, à charge
pour le nouvel employeur de se faire rembourser par l'ancien, la fraction
d'indemnité correspondant à cette période.
- Licenciement
Licenciement préalable au transfert. A condition qu'ils ne soient pas
justifiés uniquement par le transfert ou qu'il ne s'agisse pas d'une
condition de la reprise, auquel cas il y aurait fraude à la loi, des
licenciements peuvent intervenir avant le transfert.
Constituent un motif légitime de rupture du contrat de travail :
- le licenciement intervenant avant la cession, pour des raisons
économiques ou techniques impliquant une suppression d'emploi, alors que la
réorganisation est une condition préalable à la poursuite de l'activité
de l'entreprise posée par le repreneur;
- le licenciement intervenu avant la cession pour un motif lié
au comportement personnel de l'intéressé.
- Lorsque le salarié est licencié
en violation de l'article L. 122-12, il peut demander sa réintégration au
juge des référés. Celui-ci ne peut que la proposer et non l'imposer à
l'employeur, sauf s'il s'agit d'un salarié protégé. Dans ce cas, le
nouvel employeur devra le réintégrer.
Licenciement postérieur au transfert. Sous réserve de justifier
d'une cause réelle et sérieuse, le nouvel employeur peut procéder à des
licenciements, qu'ils aient un motif personnel ou économique.
- Le nouvel employeur pourra procéder à des licenciements, pour motif
économique, dans k but de réorganiser l'entreprise. Il devra alors
respecter la procédure de licenciement et verse au salarié, les diverses
indemnités calculées selon l'ancienneté totale acquise.
- En l'absence de cause réelle et sérieuse, un tel licenciement est abusif
et ouvre droit à une indemnité et non à une réintégration du salarié.
Il est tout à fait possible au nouvel employeur d'invoquer, à l'appui d'une
mesure de licenciement, des faits survenus alors que le salarié était placé
sous l'autorité de l'employeur précédent. De même, il est possible au nouvel
employeur de poursuivre la procédure de licenciement entamée par son
prédécesseur.